Une icône culturelle pour l’éternité
Plus de 20 ans après l’arrêt de sa fabrication, la scène Game boy est toujours effervescente. De nouveaux jeux et de nouveaux périphériques sortent, elle fait l’objet de livres qui racontent son histoire, elle a été exposée au Design museum de Londres et des clones de la Game Boy ne cessent de voir le jour. Depuis 2003, sans faire de bruit, la Game Boy a continué, comme si de rien n’était, à vivre et a poursuivi sa destinée à l’écart et à contre-courant de l’actualité vidéoludique. Elle a progressivement cessé d’être ce jouet, attaché autour du cou des enfants par une lanière, avec Pokemon invariablement vissé à l’intérieur. D’abord portée par la vague de rétro-gaming, la Game Boy s’est progressivement transformée au fil du temps en un objet branché, cool, voire arty. Le temps est révolu où la Game Boy était ce petit jeu électronique à la portée de toutes les bourses. Elle est devenue à bien des égards un produit de luxe.
Le prolongement de la vie de la Game Boy a été rendu possible grâce à la sous-culture des hackers, qui a explosé au milieu des années 90 avec le boom d’internet. La geek culture s’est alors répandue dans l’ensemble de la société et de marginale, elle est devenue dominante. La Game Boy est alors devenue l’un des emblèmes de la rétro-culture vidéoludique, puis une icône culturelle tout court.
La Game Boy renaît grâce au rétro-gaming
La renaissance de la Game Boy est indissociable du courant culturel Rétro et de la remix culture, mais aussi de la sous-culture des hackers et des geeks.
La pratique du rétro-gaming, qui consiste à jouer à des jeux-vidéo anciens (ou à les collectionner), explose à partir du milieu des années 90 avec l’arrivée des consoles 32 bits. En 1994, la sortie de la Playstation et de la Saturn, proposant des jeux en 3D polygonale comparables à ce qui se faisait déjà en arcade, ringardise les anciens jeux 2D des précédentes générations de consoles. Pour acquérir ces consoles onéreuses, le public, ébloui par cette 3D clinquante, revend ses anciens jeux et ses anciennes consoles. Dans la deuxième moitié des années 90, les boutiques de jeux-vidéo regorgent bientôt de jeux 8 bits et 16 bits, vendus naguère à prix d’or, mais qui désormais ne valent plus rien. En réaction à l’hégémonie des jeux 3D, une importante frange de joueurs privilégie ces anciens jeux et se regroupent sous la bannière de ce qui va bientôt devenir le rétro-gaming. A cette époque la Game Boy a encore de nombreuses années de vie commerciale devant elle, mais elle apparaît déjà comme une console rétro et les boutiques de jeux-vidéo proposent de nombreux jeux Game Boy d’occasion à des prix très abordables.
Ces boutiques sont, à la fin des années 90 et au début des années 2000, de véritables cavernes d’Ali-baba et on y trouve de tout y compris des jeux pirates made in Hong Kong, des jeux importés du Japon ou des Etats-unis, et toutes sortes d’accessoires plus ou moins légaux. Ainsi, la première moitié des années 90 a vu l’apparition de multicarts du type « X games in 1 » en provenance de Hong Kong dans ces boutiques qui les vendaient sous le comptoir. Il s’agissait de cartouches pirates chinoises non réinscriptibles, comprenant plusieurs jeux piratés sur une cartouche Game boy d’aspect normal. La première fois que j’en ai vu une c’était en 1995 et elle contenait une trentaine de jeux.
Multicart chinoise 32 in 1
L’un des principaux facteurs qui a contribué à cristalliser une fanbase autour du rétro-gaming est la diffusion des émulateurs. L’émulation, qui permet de faire tourner des jeux d’un autre système, sur un ordinateur par exemple, en simulant son environnement, était déjà bien connue des adeptes les plus acharnés de l’informatique depuis au moins le début des années 90. Toutefois l’émulation n’est sortie du ghetto du milieu des pirates et des geeks, qu’à partir de la fin des années 90, grâce à l’arrivée concomitante d’ordinateurs personnels suffisamment puissants dans les foyers et de l’ouverture d’internet au grand public vers 1994. Soudain n’importe qui pouvait obtenir du contenu à partir de n’importe où et diffuser son propre contenu partout. En outre les réseaux permettaient de connecter simultanément des personnes aux intérêts similaires pour qu’ils interagissent ensemble. Internet ayant été conçu par des geeks pour d’autres geeks, il est donc logique qu’à peine sorti du domaine militaire et de la recherche civile ou universitaire, des trucs de geeks se soient massivement diffusés en priorité sur la toile. Internet permit donc aux amateurs d’émulation et de rétro-vidéoludisme de créer des communautés, de communiquer, d’échanger du contenu et de collaborer en réseau. Le premier émulateur Game Boy a été Virtual Game Boy (ou VGB) de Marat Fayzullin apparu en 1995 ou 1996, ainsi qu’il le raconte lui-même sur son site internet :
« Fasciné par la Game Boy en tant qu'ordinateur portable bon marché, j'ai commencé à écrire VGB en 1995, après avoir trouvé des informations sur la programmation de la Game Boy sur le Net. Lors du développement de VGB, je me suis appuyé sur mon expérience antérieure avec l' émulateur fMSX. À cette époque, l'émulation était encore une nouveauté, et VGB est devenu le premier émulateur de jeu vidéo utilisable disponible. »
Parallèlement au développement de l’émulation sur internet, des sociétés basées à Hong Kong, telle la firme China Coach Limited (CCL), spécialisées dans le matériel de piratage, ont lancé au début des années 90, des unités de sauvegarde avec lecteur de disquettes incorporé, comme la célèbre gamme des Pro Fighter, des copieurs permettant de copier/pirater les données ROM des jeux des principales consoles (et en particulier la Super Nes) sur une disquette, ce qui permettait d’y jouer sans avoir les cartouches originales. Sur Game boy on pouvait ensuite transférer les jeux récupérés via un adaptateur et l’unité de sauvegarde, sur une Carte à mémoire flash ou Flash card, permettant de stocker les jeux, telle la Super Smart Card de CCL. Un tel système valait une petite fortune à l’époque et il était plutôt encombrant.
Pro Fighter Snes avec son adaptateur Game Boy
En 1999, la société Bung Enterprises, célèbre pour ses produits Game Doctor (des copieurs similaires aux Pro fighter de CCL), a lancé le GB Xchanger une unité de sauvegarde de jeux, compacte et pratique, dédiée à la Game Boy, qui permettait ensuite de transférer les jeux copiés sur une cartouche à mémoire flash. Ce produit est la première percée significative des cartes flash vers le grand public préfigurant, sur Game Boy et Game Boy Color, les futurs linkers dont la popularité explosera sur GBA et DS.
Mais c’est le lancement des cartes miniSD en 2003 qui imposera définitivement les cartes flash ou linkers comme l’accessoire ultime des consoles portables Nintendo. L’un des produits phares sur Game Boy fût la Smart card de la société EMS qui préfigura les flashcards actuelle les plus en vogue comme l’Everdrive-GB X7, l’EZ flash Jr ou la Game Boy GB Pro +.
Toutefois le succès du rétro ne saurait se réduire à la nostalgie. D’une manière générale le courant rétro peut également être considéré comme une résistance à la mode et à la consommation ostentatoire, une anti-mode qui ne cherche pas à paraître chère, tendance, neuve ou sophistiquée. En réaction à la société du déchet et à l’obsolescence programmée des objets, cette tendance favorise la récupération, le prolongement de la vie des produits, en les réparant ou en les optimisant, inspiré de la philosophie du Do it Yourself (DIY), ainsi que la création de communautés fondées sur le don, le partage, l’échange, et l’entraide. Dès le milieu des années 90 de telles communautés internet, se créent autour du jeu-vidéo. L’une des premières et des plus notables communauté collaborative est Gamefaqs qui proposait des soluces, des Faqs, des cartes, des walkthrough, des codes de triche (par exemple pour la cartouche Game Genie) etc. Elle devint incontournable pour connaître tous les secrets des jeux et pouvoir en profiter à fond. Au même moment des communautés se sont spécialisées dans les forums de discussion autour du rétro-vidéoludisme, d’autres dans l’émulation, le téléchargement de roms, ou encore le modding ou la chiptune. Aujourd’hui cette activité s’est étendue et tend à se déplacer sur les chaines Youtube. Pour streamer ou partager leurs images les Youtubeurs utilisent des périphériques comme le Game Boy interceptor qui permet de relier la Game Boy à un ordinateur.
L’un des apports notables des unités de sauvegarde et des Flash Card était qu’elles ne servaient pas seulement à copier des données et à jouer à des jeux piratés, elles permettaient également de développer ou de modifier des jeux sur un PC et ensuite de les utiliser sur sa Game Boy ou d’en distribuer des copies à ses amis.
Sur Game Boy de nombreux jeux en langue japonaise, étaient injouables pour l’utilisateur occidental lambda. C’est alors qu’arrivèrent, dès la fin des années 90, les fantrads, c’est à dire des traductions de jeux réalisées par des fans qui se sont regroupés, pour proposer ensuite des patchs de traduction en téléchargement libre sur internet. Grâce à ces fantrads les amateurs peuvent découvrir, souvent en anglais, des RPG japonais qui n’ont jamais vu le jour dans nos contrées comme Medarot ou Wizardry ou des jeux d’aventure/action comme Kaeru no tame ni Kane wa Naru ou Gargoyle’s Quest 2.
Une autre pratique répandue est le Rom Hacking. Cela consiste dans la modification du code des jeux vidéos pour en modifier les graphismes, les dialogues, les niveaux, les sprites ou d’autres éléments. Ainsi de nombreux jeux monochromes ont été colorisés par des fans. Ceux-ci se voient alors apposés la mention DX après leur nom, à l’instar des premiers jeux officiels sortis sur Game boy Color qui n’étaient que des versions colorisées de jeux monochrome (Wario land II DX, R-Type DX). On peut signaler des versions colorisées de la plupart des gros jeux : Kaeru no Tame ni Kane Wa Naru DX, Metroid II DX, Super Mario Land 1 et 2 DX, Wario land DX, Donkey Kong DX etc.
D’autres jeux ont été modifiés pour créer de nouveaux niveaux, de nouveaux sprites (à tel point parfois qu’on a parfois l’impression qu’il s’agit de nouveaux jeux), ou pour créer des fonctionnalités pour le Super Game Boy. Les jeux les plus hackés sur Game Boy sont Pokemon, Super mario land, Zelda , Mega Man et Wario land.
Kaeru no Tame ni Kane Wa Naru DX
Ces dernières années ont connu une véritable explosion sur Game Boy des jeux «homebrew» , c’est à dire de jeux développés par des fans Des outils de développement, comme Game Boy Developer’s Kit (GBDK) ou GB Studio , ont été créés pour faciliter la création de jeux sur Game boy. GBDK permet de réaliser des logiciels sur Game Boy selon les méthodes traditionnelles de programmation (notamment en utilisant le langage de programmation C). D’autres outils permettent quant à eux de programmer en assembleur. De son côte GB studio (disponible sur Mac, Linux et Windows), permet de créer facilement des jeux sur Game Boy sans connaissance préalable de la programmation informatique. Des sites dédiés à la création de jeux sont donc apparus comme le site gbdev.io qui fédère, selon sa page d’accueil, une communauté de «développeurs passionnés, travaillant sur des homebrews, des émulateurs et de la documentation pour la portable Nintendo Game Boy, la brique originale de 1989» et organise des événements, des concours ou des compétitions autour de la Game Boy tels que la GB Pixels Art Jam ou la GB Compo. Le site gbstudiocentral.com quant à lui, est un site communautaire dédié à tout ce qui concerne le logiciel de création de jeux GB Studio.
On a donc vu arriver une véritable avalanche de logiciels « homebrew » sur Game Boy, notamment le remake d’Infinity, ce RPG prévu officiellement à l’époque pour GBC mais annulé ou encore des Demakes (c’est à dire des remakes de jeux vidéo réalisés à l’origine sur une plateforme plus puissante portés sur une plate-forme moins puissante) comme Castlevania Symphony of the night (PS1) ou Zelda Adventure (Philips CDI) sur Game Boy.
Cet engouement pour la création de jeux sur Game Boy, notamment des RPG, est en grande partie dû à la révolution GB Studio. Cet outil de développement a été créé en 2019 par Chris Maltby un développeur de logiciels basé à Londres. Chris a raconté la genèse de GB Studio :
« J'ai écrit les premières parties de ce qui allait devenir GB Studio en août 2016. Je venais de trouver un moyen de faire apparaître des sprites sur la Game Boy de mon enfance et j'avais envie de faire un petit JRPG. Pour m'aider, j'avais créé quelques petits outils et avant de m'en rendre compte, j'avais développé une application pour créer des jeux au lieu du jeu lui-même ! » La version primitive de GB Studio est née lors d’un concours : « Lorsque la Bored Pixel Jam 3 a été annoncée en ayant pour thème la Game Boy, nous explique Chris, je savais que c'était l'occasion idéale de tester mon programme et j'ai terminé « Untitled GB Game » en une semaine. Je me suis tellement amusé que je savais que je voulais aussi le partager avec les autres. J'ai donc passé les mois suivants à améliorer la programmation et à faire fonctionner l'application sur le plus de plateformes possible, et j'ai finalement pu terminer une première version juste à temps pour le 30ème anniversaire de la sortie de la Game Boy au Japon. »
Pour Chris Maltby la création sur Game Boy est particulièrement enrichissante et motivante en raison même de ses limitations :
« Je pense que la limitation de quatre couleurs et d'une résolution d'écran de 160x140 pixels est propice à la créativité, comme le sont souvent les limitations. Même avec des ressources réduites, vous pouvez créer un jeu qui exprime de vraies émotions. En ce qui concerne le matériel lui-même, la fascination réside dans le fait qu'il est possible de comprendre pleinement le fonctionnement de l'appareil. Avec les systèmes modernes, cela est beaucoup plus difficile et vous devez souvent vous spécialiser dans certains domaines lors du développement de jeux. »
Parmi les jeux sympas qui ont été créés grâce à GB Studio on peut citer Deadeus, Yurivania 2 et 3, Dragonborne, Penalty kick’91, Kudzu, Lee Carvallo’s putting challenge II, Magic & legends:Time Knights, Swordbird song ou encore Batty Zabella. Mais la réalisation la plus stupéfiante sur GB Studio est Super mario Bros Mini, un remake amélioré du jeu Nes de 1985. Celui-ci se différencie de Super Mario Bros Deluxe sorti en 1999 sur GBC en respectant la taille des décors et des sprites mais aussi par son contenu identique au jeu original et y ajoute 8 mondes bonus, une nouvelle quête accessible dans le menu principal en appuyant sur le bouton B, de nouveaux thèmes, un écran de sélection des niveaux, la possibilité de chevaucher Yoshi ou d'affronter les boss de Super Marioland.
à suivre...