OUT RUN
Support : Arcade
Développeur : SEGA
Sortie : 1986
OutRun, c’est avant tout le symbole de son temps, l’apogée d’une époque baignée d’insouciance et d’insolent capitalisme, quand l’idéal yuppie battait son plein. Malgré les funestes augures de l’inexorable chute qui succéderait à ce bien-être factice, comme le SIDA qui commençait à faire des ravages, la navette Challenger qui explosa en vol et le désastre de Tchernobyl, l’année 1986 s’entêtait dans son indémontable optimisme et son goût pour la futilité. Samantha Fox brâmait «Touch me» aux jeunes mâles qui n’avaient d’yeux que pour ses, hem, talents, Tom Cruise émoustillait les donzelles avec ses lunettes d’aviateur… Et OutRun nous faisait bouffer des kilomètres de bitume au volant d’une flamboyante Ferrari Testarossa, au côté d’une blonde platine fournie avec le véhicule, sans nous soucier le moins du monde du prix du carburant ou de l’impact écologique.
SUZUKI ET FERRARI
Un peu plus tôt, Yu Suzuki, jeune programmeur de la division AM2 de SEGA, avait marqué les esprits de ses employeurs en développant Hang On et Space Harrier, qui eurent un beau succès dans les salles d’arcade. Il eut alors les coudées franches pour produire un nouveau jeu plus personnel, qui sera marqué par le visionnage du film «L'Équipée du Cannonball», qui parle de courses de voiture clandestines à travers les USA. Son amour pour les moteurs rutilants allait donc être assouvi, mais au lieu des USA, la firme lui offrira un voyage à travers l’Europe pour s’inspirer des paysages. C’est à Monte-Carlo que son regard croisera le joyau dessiné par Pininfarina pour Enzo Ferrari, la fameuse Testarossa dont il tomba amoureux. Il la photographia sous toutes les coutures et enregistra le bruit de son moteur pour en faire l’élément principal de son prochain titre. Bien sûr il n’était pas question de licence officielle, qui se souciait de ces détails à cette époque ? L’important était d’offrir au joueur les sensations que peut ressentir un gosse de riche parcourant le monde au volant d’un joujou que la plupart des gens, et à fortiori les ados, ne pouvaient conduire qu’en rêve.
EN ROUTE POUR LA JOIE !
La main sur l’autoradio pour choisir notre piste sonore préférée, sur fond d’océan turquoise, on enfile nos lunettes de soleil et on part pour l’aventure. Ciels bleus limpides ou flamboyants, douce mélodie du 12 cylindres à plat, une main sur le volant et l’autre sur la cuisse de la blonde qui nous accompagne, on se laisse porter par la musique sirupeuse et les panoramas qui défilent à vitesse grand V. Notre but est simple : gagner la ligne d’arrivée au terme d’un trajet composé de 4 étapes, chacune de celles-ci ayant un timer qu’il ne faudra pas dépasser sous peine d’être éliminé, il s’agit donc de ne pas traîner.
Le premier parcours, Coconut Beach, en met tout de suite plein les mirettes avec son bord de mer ensoleillé, ses cocotiers et ses véliplanchistes. Chose amusante, ceux-ci sont en réalité fixes, fermes sur l’océan comme des statues, mais heureusement l’illusion de mouvement fonctionne bien lorsqu’on roule à fond les ballons, ce qui devrait logiquement être le cas sur cette route initiale qui ne présente pas de grosse difficulté. Vers la fin de celle-ci on trouvera un embranchement où l’on choisira d’aller vers la gauche ou la droite, et il en sera de même pour les suivantes. Sachant qu’une course complète est composée de 4 segments, cela offre une pléiade de possibilités de parcours possibles pour atteindre l’une des cinq lignes d’arrivée disponibles. Les environnements sont donc assez nombreux, 15 en tout, et même si certains se ressemblent dans l’ensemble le dépaysement est bien présent, nous faisant par exemple rapidement passer d’un désert aride aux Alpes.
Au niveau des commandes il est difficile de faire plus simple : on accélère, on freine, on tourne. Et on alterne entre l’une des 2 vitesses disponibles, ce qui est bien plus pratique qu’une boite 5 rapports, convenons-en. En première le véhicule plafonne à 190 km/h, en seconde on atteint les 290. Il est un peu dommage qu’un indicateur de la position du levier ne soit pas présent pour visualiser la vitesse enclenchée, mais on s’y fait rapidement. Pour info, ceci a été ajouté par la suite dans la version remaster de Sega Ages.
EASY TO LEARN, HARD TO PAS SE PLANTER
Très facile à prendre en main donc, mais pas forcément à maîtriser. En particulier quand les routes deviennent étroites et sinueuses, et lorsque des véhicules entravent notre progression. Car bien évidemment on n’est pas seul sur la route, des salauds de pauvres en Coccinelle, en camions, ou même en Porsche se traînent sur celle-ci et sont parfois difficiles à dépasser sans commettre une erreur. Ce qui peut prendre la forme d’une touchette, d’une sortie de piste, ou carrément d’un tonneau si on accroche durement un obstacle comme un panneau sur le bord de la route. Ce dernier cas est assez punitif et met à risque le passage d’étape dans le temps autorisé. Au fil des parties lorsqu’on s’améliorera, nos chronos plus rapides sur les premiers stages nous permettront d’accumuler quelques précieuses secondes de réserve pour les suivants.
Il est donc crucial de doser la prise de risque de façon à ralentir le moins possible tout en évitant les crashes. Avec un peu d’expérience on s’apercevra que malgré l’apparente difficulté initiale, le jeu laisse une marge suffisante pour conduire «relativement prudemment» sans sortir des temps, cette option est donc à privilégier. Il faudra aussi être attentif à changer de vitesse au bon moment, par exemple à être en première lors d’un démarrage ou lorsqu’on se retrouve en terrain accidenté, sachant que le passage optimal en seconde se situe aux alentours de 160 km/h, cela pouvant faire une grosse différence sur nos performances.
Les véhicules contrôlés par l’IA ont un comportement assez réaliste, c’est à dire qu’ils ne font pas n’importe quoi mais ne sont pas non plus totalement prévisibles. Ils ont en outre le bon goût de pouvoir être effleurés de très près lorsqu’on les dépasse, ce qui facilite les choses et évite des frustrations.
Nos ennemis sont donc à la fois l’environnement et les automobilistes, que l’on apprendra anticiper et négocier au fil du temps en mode «die’n’retry». La satisfaction proviendra de chronos toujours meilleurs, et de l’assouvissement de la curiosité de découvrir de nouvelles étapes, et surtout les 5 sympathiques fins différentes que propose le jeu en fonction du trajet choisi.
RAPIDE COMME L'ÉCLAIR, PUISSANT COMME LA FOUDRE… ET BEAU COMME UN CAMION
Yu Suzuki disposait d’une équipe réduite à seulement une dizaine de personnes pour produire son titre, ce qu’il fit en seulement 10 mois. Il ne compta pas les heures et s’occupa lui-même d’une grande partie du code pour tirer au mieux profit du système arcade «SEGA OutRun», développé spécifiquement pour le jeu sur la base du SEGA System 16. Le résultat fut parfait : le jeu est vif et fluide, et l’utilisation du scrolling parallaxe bilinéaire pour conférer l’effet tridimensionnel, déjà présente dans les précédentes œuvres du génial programmeur, est parfaitement maîtrisée. L’impression de vitesse est excellente, de même que les sensations de conduite. Celles-ci sont renforcées par des effets sonores de qualité, du bruit des moteurs à celui des dérapages, ou encore de l’appel d’air lorsqu’on frôle un véhicule que l’on dépasse.
Les graphismes sont chatoyants et certaines images comme l’écran de sélection des musiques ou celui de la ligne de départ sont devenues emblématiques. La Testarossa et ses passagers sont biens rendus, les autres véhicules un peu moins mais ça reste correct, le bon vieux color swapping étant parfois utilisé pour les différencier. Cette petite différence de traitement n’est pas une mauvaise chose puisque par effet de contraste, elle met en évidence notre bolide rouge... et après tout, la star, c’est nous ! Les décors quand à eux sont souvent superbes, comme les Alpes avec ses plaines fleuries et ses montagnes enneigées en toile de fond, ou encore Cloudy Mountain dont le roulis des cumulus exacerbe l’impression de vitesse. Certains sont un peu plus dépouillés et classiques mais dans l’ensemble le jeu est beau et de bon goût, il a une identité propre reconnaissable au premier coup d’œil, et fournit un univers visuel dans lequel on se sent bien.
Passing Breeze, Splash Wave et Magical Sound Shower sont les titres évocateurs des musiques sélectionnables avant le départ. Elles ont le don de mettre de bonne humeur et de faire voyager, dans un style rock / jazz / tropical typiquement eighties. Bien que seulement au nombre de trois, les pistes sont assez longues avec des breaks et des variations pour éviter la monotonie. Last Wave enfin, qui clôt la session de jeu, est empreinte d’une douce mélancolie de fin d’été.