Pitfall!
Support : Atari 2600
Editeur : Activision
Année : 1982
J'ai terminé Pitfall!, sorti en 1982, développé par Activision (ça fait bizarre de se dire qu'on a joué à un jeu Activision ! ) initialement sur Atari VCS (ou Atari 2600) ! L'un des pères du jeu de plate-forme, l'un des plus importants et influents à l'époque avec le premier Donkey Kong. C'est la première fois que je joue sérieusement à un jeu VCS, donc je découvre véritablement la console en mettant la main au pad.
Vous devez vous poser la question suivante : comment est-il possible de "terminer" un jeu VCS ? Tout d'abord, ce jeu est très bien conçu pour son époque et toujours agréable à jouer, avec quelques subtilités intéressantes dans le gameplay. Ensuite il y a bel et bien un objectif ultime consistant à ramasser les 32 trésors répartis dans la jungle (et on peut aussi accéder à un "score parfait" de 114 000 points). Donc ce que j'ai réussi à faire, c'est ramasser les 32 trésors, sans pour autant obtenir le score parfait (j'ai eu "seulement" 113 910 points), sachant qu'il me restait à peine douze secondes au compteur (en guise de "fin", l'écran du jeu se fige, comme pour un game over, sans le moindre générique de fin ni message "The End", c'était une autre époque antérieure à la NES).
Comme dit plus haut, il s'agit de l'un des tout premiers jeux de plate-forme (ce titre étant parfois considéré comme "le premier jeu de plate-forme jamais créé", même si ce n'est pas tout à fait vrai). On le doit à un seul programmeur, David Crane : un ancien de chez Atari qui a quitté le studio pour fonder, avec d'autres développeurs, sa propre boîte appelée "Activision" (une boîte qui a la réputation d'avoir développé certain des meilleurs jeux VCS, comme H.E.R.O., ou encore les deux Pitfall!).
Le principe est très simple : on dirige un explorateur appelé Harry Pitfall et qui doit explorer une jungle pour ramasser tous les trésors qui s'y cachent. Un héros à la Indiana Jones, sorte d'ancêtre de héros explorateurs comme Sabreman, Rick Dangerous, Lara Croft, ou encore Nathan Drake. Le gameplay en lui-même est également très simple : le héros ne peut que sauter (sans pouvoir changer l'amplitude du saut, c'était l'époque pour les jeux de plate-forme, Super Mario Bros et son héros qui a de l'inertie n'était pas encore sorti), s'accrocher aux lianes et grimper aux échelles. "Petite" complication : on n'a que 20 minutes pour trouver un maximum de trésors, sans quoi le jeu s'arrête, et on n'a que trois vies en tout et pour tout (sans possibilité d'en récupérer). Mais derrière cette simplicité se cachent certaines subtilités intéressantes qui font tout l'intérêt du jeu, sachant que la notice nous apprend plein de choses intéressantes :
https://atariage.com/manual_page.php?SystemID=2600&SoftwareLabelID=360&ItemTypeID=¤tPage=0&maxPages=6
Un trésor ! Mais attention au piège fourbe si on fonce tête baissée vers le coffre : il faut trouver le bon timing d'apparition et de disparition du trou (ou sable-mouvant, je ne sais jamais dans ce jeu) pour passer !
Voici certaines choses que la notice nous explique :
- le jeu est constitué de 255 tableaux fixes sans défilement d'écran (oui, là encore, il faut rappeler qu'à l'époque, le "scrolling" n'était pas encore démocratisé) ;
- les 255 niveaux forment une "boucle circulaire" : à force d'aller à droite ou à gauche, on finit par revenir à notre tableau de départ, et on a le choix entre aller à gauche ou aller à droite ;
- chaque tableau est constitué de deux parties : la partie supérieure qui renferme le plus de pièges, et une partie souterraine moins dangereuse (à part quelques scorpions à esquiver et qui peuvent être un peu traîtres, ce sont les seuls ennemis mobiles et programmés pour se diriger vers le héros, donc qui peuvent se retourner et se déplacer dans l'autre sens lorsqu'on saute derrière eux, contrairement aux serpents qui sont immobiles). On accède aux souterrains en tombant dans les trous non mortels (ce qui occasionne une diminution de notre score) ou bien en utilisant les échelles. Seule la partie supérieure renferme les 32 trésors à ramasser ;
- tous les pièges ne nous tuent pas, mais nous font simplement baisser le score : il s'agit des rondins qui roulent et qu'il faut esquiver (comme les tonneaux de Donkey Kong, peut-être une référence au jeu de Nintendo), ainsi que certains trous non mortels qui nous amènent dans les souterrains (ce qui, en revanche, fait aussi baisser notre score). Toutefois, les serpents, les flaques d'eau ou trous mortels, les crocodiles quand ils ont la gueule ouverte, ainsi que les flammes nous font perdre une vie (mais notre score ne diminue pas à ce moment-là, ce qui peut avoir son importance si on a envie de sacrifier une vie pour gagner du temps tout en conservant son score) ;
- un truc suuuuuper important : quand on passe par les souterrains et qu'on sort par la droite ou par la gauche, le joueur avance... de trois tableaux (alors qu'on n'avance que d'un seul tableau si on passe par la partie supérieure) ! C'est important car nous n'avons que 20 minutes pour trouver les 32 trésors avant que le jeu ne s'arrête, et je peux vous garantir qu'il est IMPOSSIBLE de ramasser les 32 trésors en moins de vingt minutes si on passe uniquement par la partie supérieure. Le hic, c'est qu'il faut savoir à quels endroits il faut emprunter les souterrains car on risque aussi bien d'être bloqué par une barrière après avoir traversé plusieurs écrans, que de louper des trésors sans le savoir dans la partie supérieure (sauf si on connaît les niveaux).
Le chemin du souterrain est barré à droite
En fait, rien que cette idée des niveaux constitués d'une partie supérieure nous faisant avancer d'un tableau et d'une partie souterraine nous faisant avancer de trois tableaux donne tout son intérêt au jeu, car c'est une idée franchement ingénieuse qui nous donne un semblant de liberté et d'exploration sur un jeu qui tourne sur une machine techniquement limitée et qui ne tient que sur quelques pauvres ko de mémoire (4 ko seulement ! ). Cela donne un petit aspect "tactique" et "planification de l'itinéraire" : il faut explorer les niveaux, prendre connaissance du contenu de la partie supérieure (sachant qu'il peut arriver qu'on passe une dizaine, voire quinzaine de tableaux sans trouver le moindre trésor, signe qu'il vaut mieux passer par les souterrains pour sauter ces tableaux vides et ne pas perdre trop de temps). Donc il y a des moments où il vaut mieux passer par les souterrains et d'autres, au contraire, où il faut passer par le dessus (parfois, il arrive que le chemin le plus rapide consiste à passer par les souterrains, puis remonter dans la partie supérieure et faire marche arrière deux ou trois écrans plus loin pour ramasser un trésor qu'on avait "sauté" en passant par les souterrains ; ou bien l'inverse, c'est-à-dire passer d'abord par le dessus jusqu'au trésor, puis prendre une échelle et rebrousser chemin en passant par les souterrains).
On finit aussi par comprendre un truc, c'est qu'en règle générale, et contrairement aux habitudes qu'on a dans les jeux de plate-forme classiques, il vaut mieux explorer de droite à gauche plutôt que de gauche à droite. La principale raison à cela, à mon sens, c'est qu'on est beaucoup moins embêté par les rondins qui roulent : si on va de droite à gauche, les rondins roulent à la même vitesse que le héros court, donc si on n'a pas d'obstacle devant nous, on peut traverser tout le niveau sans sauter pour esquiver les rondins. Le jeu est d'ailleurs suffisamment bien codé pour que les rondins apparaissent derrière le héros si on explore de droite à gauche (ce n'est pas comme d'autres jeux où des pièges fourbes apparaissent sur le héros dès qu'on entre dans le nouveau tableau). Et je trouve aussi que les écrans avec trois crocodiles sont plus simples à passer de droite à gauche que de gauche à droite, mais cela vient peut-être de moi.
Ooooh ! ouahououahouuuu ! ouahououahouuuuu !
De plus, si tout cela fonctionne, c'est aussi parce que le jeu est irréprochable sur sa maniabilité, sa précision dans les sauts, sur son game-design et la conception des niveaux. Il n'y a pas de trucs mal conçus dans les pièges à éviter, même si au début on se fait avoir par les trous qui apparaissent alors qu'on se précipite vers le trésor en vue, mais ensuite on apprend aisément le timing à avoir pour surmonter ces obstacles et on "sent" qu'un trou est susceptible d'apparaître dans un tableau qu'on ne connaît pas (grâce à de multiples indices comme une liane d'apparence "inutile" qui se balance au-dessus du sol ou bien lorsque le tableau semble trop vide pour être honnête). Par ailleurs, sa réalisation graphique est "jolie" (pour de la VCS) et parfaitement lisible (on comprend ce qu'on voit, on n'a pas affaire à des trucs abstraits et incompréhensibles, le héros ressemble bien à un explorateur, les scorpions ressemblent à des scorpions, les serpents à des serpents, les crocodiles à des crocodiles, les rondins à des rondins). Il faut juste faire attention aux scorpions qui peuvent être assez traîtres (ce sont les seuls ennemis qui bougent vers nous, contrairement aux serpents qui sont immobiles), et les crocodiles m'ont aussi demandé un certain temps d'adaptation (il faut savoir qu'on peut tout de même sauter sur leurs yeux sans mourir alors qu'ils ont la gueule ouverte, mais ce n'est pas super conseillé, je préfère attendre qu'ils aient la gueule fermée).
La plus grande réussite de la maniabilité pour moi, ce sont les lianes : le héros peut s'y accrocher, ce qui laisse entendre un petit jingle qui fait penser à Tarzan (les bruitages du jeu sont très réussis selon moi, j'aime bien également le petit bruitage quand on meurt ou bien quand on ramasse un trésor, ils ne sont jamais énervants). Comme je l'ai déjà dit, on ne peut pas contrôler ses sauts... sauf avec les lianes car c'est le seul moment où on a un semblant de contrôle sur l'endroit où on veut atterrir, ce qui est important quand il y a des rondins en train de rouler et qu'on n'a pas envie de tomber dessus. Je trouve ces passages en liane assez "grisants" (toute proportion gardée, on reste sur VCS), très sympas, avec le héros qui change d'animation en adoptant une vraie posture adéquate.
Que faire : utiliser la liane, ou bien prendre le risque de sauter sur les trois crocodiles quand leur gueule est fermée ? Tout dépend du cycle auquel on a affaire et si on ne veut pas perdre trop de secondes
J'ai également découvert certaines "astuces avancées". Lorsque notre notre but n'est pas de faire le "score parfait", on peut choisir délibérément de se prendre quelques rondins dans les jambes plutôt que d'être obligé de sauter sur place (si jamais un saut normal nous aurait fait tomber dans un trou mortel), si cela nous permet de gagner UNE seconde qui peut être parfois déterminante pour avoir LE bon timing de liane ou de trou temporaire pour le tableau suivant (il arrive parfois qu'on arrive UNE seconde trop tard, donc qu'on perde finalement cinq secondes à attendre qu'une liane revienne vers nous ou qu'un trou soit dans le bon cycle d'apparition/disparition afin de pouvoir avancer). De plus, chaque mort fige temporairement le temps et nous fait systématiquement réapparaître à gauche du tableau : voici un autre argument en faveur d'une exploration de droite à gauche plutôt que de gauche à droite, car on peut choisir de perdre volontairement une vie pour réapparaître à gauche du tableau, si vraiment on est dans un cycle très défavorable de liane ou d'apparition/disparition de trou/flaque d'eau, sachant qu'une vie perdue ne diminue pas notre score. Je peux vous garantir que le compteur de 20 minutes n'est pas là pour faire joli : il est calculé au rasoir pour avoir juste le temps de choper les 32 trésors, donc parfois, on est amené à faire ce genre de truc pour gagner de précieuses secondes qui peuvent être absolument déterminantes (il me restait vraiment 12 secondes avant la fin, mais je sais que certains, plus habiles, arrivent à avoir le score parfait alors qu'il reste une cinquantaine de secondes).
En fait, le plus dur dans le jeu, hormis le fait de ne pas avoir de notice comme visiblement beaucoup de joueurs à la sortie du jeu (sans elle, on nage vraiment dans le brouillard, on ne sait pas qu'il y a 32 trésors et un "score parfait", il faut comprendre soi-même - ce qui est assez difficile - que les souterrains nous font avancer de trois tableaux), et hormis le fait d'être inexpérimenté parce qu'on découvre le genre "plate-forme" à l'époque où tout était encore à inventer, c'est de trouver un bon "itinéraire" à emprunter. Donc trouver la bonne alternance entre surface et souterrain, s'il faut aller à gauche ou à droite et à quels moments, pour ramasser les 32 trésors, avec le compte à rebours qui nous presse : avant ça, il faut passer par beaucoup d'essais et d'erreurs (d'abord explorer la partie supérieure pour prendre connaissance de la configuration des terrains, de l'emplacement des échelles et des trésors), c'est ce qui prend le plus de temps. Ou alors, selon le profil du joueur, on peut aussi avoir le choix de regarder des "guides vidéo 100%" pour trouver plus rapidement un bon itinéraire plutôt que de chercher soi-même : c'est au choix, chacun fait comme il veut.
Ensuite, au fil du temps, le joueur se fait la main avec la maniabilité, il mémorise de plus en plus les niveaux jusqu'à établir le chemin le plus optimal ou bien la manière la plus rapide de traverser certains tableaux qui offrent plusieurs possibilités : soit il faut attendre qu'un trou ait fini d'apparaître et de disparaître, soit on peut tenter d'y aller et d'anticiper l'apparition d'un trou en sautant au dernier moment, ou bien on peut avoir le choix entre utiliser une liane ou bien tenter de courir avant qu'un trou n'apparaisse. De plus, je trouve que le jeu n'abuse pas des sauts au pixel près, car on a quand même un minimum de marge pour réussir ses sauts (pas beaucoup non plus, mais un petit peu quand même). Je peux vous garantir qu'un jeu comme Super Mario Bros 2 : The Lost Levels sur NES est bien plus difficile que Pitfall! en matière de level-design et de maniabilité à maîtriser.
Enfin, la difficulté ultime à ne pas négliger et sous-estimer (mais à ne pas surestimer non plus), c'est de savoir gérer son stress sur une durée de vingt minutes maximum, sans céder à la tentation d'utiliser les fonctionnalités des émulateurs telles que la sauvegarde d'état ou le rembobinage (sauf éventuellement pour s'entraîner avant de faire une partie "à la loyale", chose que j'ai préféré ne pas faire d'un point de vue très personnel), ce qui n'est pas une mince affaire.
J'insiste toutefois sur le fait que le jeu ne nous demande jamais de réussir des sauts "hardcore" au pixel près, que les pièges sont relativement "simples" une fois qu'on a compris comment les passer. Dès lors qu'on a trouvé un itinéraire qu'on juge "optimal", le plus dur est passé et c'est là qu'il ne faut pas se décourager : rester concentré et avoir un bon mental pendant vingt minutes, un genre de défi qui ne se fait plus trop à l'heure actuelle où on privilégie les systèmes de check-points et de vies infinies, plutôt que de "frustrer" le joueur et lui mettre la pression à l'idée de tout perdre et de tout recommencer.
Ces deux manières de concevoir la difficulté dans un jeu vidéo s'opposent mais ont chacune leur place et leur justification selon le type d'épreuve qu'on veut imposer au joueur, et font ressentir des plaisirs et satisfactions bien différents.
Quoi qu'il en soit, après avoir trouvé l'itinéraire qu'on juge optimal, je trouve que la difficulté ultime de finir le jeu avec les 32 trésors relève davantage d'une barrière psychologique à dépasser et d'une (re)prise d'une vieille habitude (finir un jeu d'une traite sous peine de tout recommencer, avec tout de même trois vies qui nous sont octroyées), que d'une réelle difficulté intrinsèque dans la maniabilité et le franchissement de chaque tableau. J'estime qu'il faut une petite dizaine d'heures maximum pour terminer le jeu avec les 32 trésors si on n'utilise absolument aucune aide en dehors de la notice (beaucoup plus si on découvre le jeu comme à l'époque de sa sortie, sans notice et en étant encore débutant en jeux de plate-forme).
Un peu d'humour, ça ne fait pas de mal
Néanmoins, je regrette personnellement qu'on tende à marginaliser, voire diaboliser, cette "difficulté à l'ancienne", au point d'établir comme sorte de cahier des charges gravé dans le marbre que "les vies limitées et le game over qui nous fait tout recommencer, c'est mal". Et en même temps je m'étonne de voir que cette manière de concevoir la difficulté soit acceptée par certains joueurs qui la rejettent en temps normal alors qu'ils pratiquent certains "rogue-like" très populaires qui reposent sur ce concept.
Je termine en disant que je vois en Pitfall! un précurseur du "contre-la-montre" ou "speedrun", un truc qui a explosé avec Internet (Youtube, Twitch et cie) et les émulateurs. Certains des jeux les plus populaires chez les "speedrunners" sont ceux qui sont plus ou moins ouverts (comme les Metroid ou les Souls), donc qui demandent une bonne planification de l'itinéraire avec beaucoup d'essais et d'erreurs pour trouver celui qui est le plus optimal afin d'accomplir tous les objectifs dans un ordre assez libre (comme Pitfall!). De plus, Pitfall! peut également inciter à user de certaines techniques d'apparence contre-intuitives mais qui sont devenues fondamentales chez les joueurs adeptes du contre-la-montre : celles consistant à prendre des dégâts ou mourir pour gagner du temps. Il me semble toutefois peu probable que Pitfall! ait directement influencé cette pratique du jeu vidéo (ou alors, au mieux, il a influencé d'autres jeux qui ont ensuite influencé les joueurs), mais on peut lui accorder le mérite d'être un précurseur en la matière.
Bref, je suis vraiment étonné par ce jeu, je ne m'attendais pas à ce qu'il m'accroche comme ça : il n'a pas usurpé sa bonne réputation, ni son succès commercial de l'époque. Je comprends maintenant pourquoi il a pu marquer son temps et poser les bases du jeu de plate-forme. Je ne m'attendais pas non plus à ce qu'il comporte un vrai "but", et encore moins à ce qu'il soit tout à fait accessible avec un minimum d'habileté et de sens du timing (mais pas trop), de mémorisation des niveaux, de compréhension de ses mécaniques et de réflexion sur le chemin à emprunter. Ni à ce que son concept du temps limité fonctionne aussi bien au point de poser les bases du "speedrun". Je voix mieux son importance pour le genre. Et tout ça sur quatre pauvres kilooctets, ça force le respect !