[RETROGAMING] SAPIENS / AMSTRAD CPC
SAPIENS
Support : Amstrad CPC
Existe également sur Thomson TO7/MO5, Atari ST, PC,
Mac
Editeur : Loriciels
Année : 1986
Ce matin, comme de nombreux matins depuis ma naissance, mon réveil a sonné. Je me suis levé, émergeant l'air hagard de mes couvertures en coton et tissus synthétiques,
engoncé dans les plis confortables de mon pyjama. Un petit tour aux toilettes, avant de mettre en route la cafetière... Ouvrir le frigo, prendre le beurre dans son bel emballage métallisé
conservateur. Plus qu'à attraper les tartines de pain et à faire griller ça au four, avant de me décider entre la confiture de fraises ou celle de prunes. Environ une demi-heure plus tard, c'est
rassasié que j'ouvrais les volets et regardais le temps. Le Soleil se levait, et il me fit réfléchir...
En quelques instants, sans que je ne l'eus remarqué, j'avais utilisé et profité d'une technologie, d'un progrès si courant dans la vie quotidienne que je n'avais même pas pensé que, quand même,
ce qu'a produit l'Humanité depuis ses débuts est formidable. J'utilise du beurre ou allume le four depuis des années, bois du café à foison, dors dans un lit, tout cela sans penser à tout le
chemin que l'Homme a dû parcourir avant d'en arriver là. Et pourtant, certaines choses sont immuables. Et je fixais donc ce Soleil, boule de feu inchangée depuis des millénaires, et pensais à nos
lointains ancêtres, disparus depuis bien longtemps. Eux, qui se sont battus dans la nature pour survivre et qui ont permis à l'espèce de se développer. Eux, qui devaient chaque jour chasser pour
se sustenter sans pouvoir profiter d'un petit lit douillet ou d'un café chaud. Eux qui cependant il y a 100 000 ans, tout comme je l'ai fait et tout comme le feront les Hommes dans plusieurs
siècles, ont regardé le Soleil se lever...
Cette introduction grandiloquente, je vous l'ai faite pour bien comprendre avec quel point de vue il faut aborder le jeu que je teste ici pour vous, à savoir Sapiens sur l'antique
micro-ordinateur Amstrad, sorti également sur la plupart des machines de l'époque (Atari ST, Thomson, PC... ). Pour beaucoup d'entre vous, les jeunes lecteurs surtout, le milieu des années 1980
dans le petit monde des jeux vidéo reste une période assez floue, les mastodontes actuels que sont Sony, Nintendo, Microsoft, ou même encore Sega n'ayant pas encore le monopole du marché
vidéoludique. Les jeux vidéo à cette époque restaient surtout le privilège d'un petit public de passionnés qui pouvaient s'extasier sur 3 pixels en bataille, passer outre des floraisons de bugs
et problèmes de jouabilité pour s'investir dans les jeux que certaines sociétés de renom, pour la plupart disparues, pouvaient leur offrir. Ces jeux, complètement dépassés aujourd'hui (il faut
bien le dire, hélas), les « vieux joueurs » ne les ont cependant pas oubliés : Fruity Frank, Sorcery+, Barbarian, Baby Joe, Target Renegade, Les Aventures de Moktar, Prohibition, Gauntlet,
Ghost'n'Goblins, Billy la Banlieue... tant de noms qui rappelleront à beaucoup leur enfance passée sur ces vieilles bécanes informatiques. De « grands petits jeux » qui pour beaucoup se
limitaient à fournir du divertissement sans fioritures, du bon jeu d'arcade bien fun et amusant. Cependant, certains avaient déjà compris que le jeu vidéo pouvait être plus que cela, à savoir
l'implication complète du joueur avec l'histoire où il participait, une osmose parfaite entre l'Homme et son avatar virtuel. C'est ici qu'intervient Sapiens, jeu de génie conçu et réalisé par
deux frères, Didier et Olivier Guillion, et édité chez Loriciels en 1986.
Il y a cent mille ans, le jour se lève...
C'est par ces quelques mots si simples et pourtant remplis d'émotion que votre aventure dans Sapiens commence, alors qu'un paysage aux couleurs monochromes vous fait apercevoir l'astre solaire
pointant lentement à l'horizon. Rien d'autre. Juste le constat que l'Homme a depuis des millénaires en se réveillant chaque jour, l'observation d'un paysage céleste qui ne change pas. Procédé
simple pour nous rapprocher, nous hommes modernes, de nos pairs préhistoriques. L'image de l'Homme face à la nature, face au monde qui l'entoure, et finalement face à lui-même. Voici en quelque
sorte tout ce qu'implique une plongée dans le monde de Sapiens.Sapiens, en effet, n'est pas un simple jeu. Comprenez par-là que vous ne l'abordez pas comme vous abordez un Pac-Man, un Mario, ou
un Shinobi. Vous ne parlez pas de Sapiens en termes de niveaux à passer, bonus à ramasser, scores à améliorer. Non, tous ceux qui connaissent Sapiens savent bien qu'il n'y a rien de cela dans le
soft, pour la bonne raison que ce jeu bafoue la plupart des règles des jeux des années 80, voire même des jeux de maintenant. Et c'est bien ce qui permet à Sapiens de se démarquer du lot et
d'être encore, presque 25 ans après, un logiciel sur lequel il est intéressant de s'attarder au moins le temps de quelques pages.
Mais avant de vous parler du gameplay et de l'originalité du jeu, laissez-moi vous raconter l'histoire. Tout commence donc, comme je vous l'ai dit, il y a 100 000 ans (...alors que le jour se
lève... Bien, bravo pour ceux qui suivent !). Vous incarnez Torgan, un homme (ou une femme selon votre choix) qui est membre de la tribu des Pieds Agiles. Oui je sais, le nom est assez ridicule,
mais en ces temps-là on se posait surtout la question de savoir ce qu'on allait manger le soir. Et en parlant de manger, là est tout le problème pour Torgan et ses confrères : la tribu a faim. Le
chef Hognor vous charge donc d'une mission capitale, à savoir chasser le gibier et rapporter assez de nourriture pour subvenir aux besoins du groupe. A partir de là, vous êtes livré à vous-même.
C'est aussi à ce moment précis (soit 1 minute à peine après avoir inséré la disquette... ou lancé la rom) que le joueur comprend que Sapiens ne va pas être un jeu classique et qu'il va abandonner
le statut de simple divertissement vidéoludique pour devenir une simulation, celle de la vie d'un homme vivant à la Préhistoire.
Torgan, le fils des âges farouches.
Tout comme Rahan, héros de la BD éponyme, court sans réelle destination dans un monde immense qu'il apprend progressivement à connaître et maîtriser, Torgan (et le joueur) fait de même. Et si
Rahan suivait toujours l'orientation de son fidèle coutelas pour savoir où se diriger, Torgan a choisi d'être encore plus libre de toutes lois. Ainsi, vous n'aurez aucune route prédéfinie et, dès
le début, pourrez aller absolument où bon vous semble. Bien entendu, il ne faudra pas perdre de vue le but de votre mission, et veiller à ne pas trop s'éloigner du territoire de votre tribu sera
salutaire si vous espérez avancer dans l'histoire. Cependant, rien ne vous empêche si vous le désirez d'aller flâner pendant des heures et des heures vers les plus lointains territoires, d'aller
chasser pour votre propre compte, d'aller visiter les lieux qui vous intéressent. Bref, en un mot comme en cent, LIBRE ! Vous êtes absolument libre de faire ce que vous désirez (dans les limites
du jeu bien sûr, n'allez pas me dire que vous voulez grimper dans un arbre et vous amuser à jeter des pierres sur tous les passants). Seulement, Torgan n'est ni un ninja, ni un super-héros, ni un
rapide hérisson bleu à chaussures rouges. Du coup, il ne peut faire comme eux, à savoir chasser le méchant et s'acquitter de sa mission sans se reposer un instant, et sans se remplir la panse
quand le besoin se fait sentir. Torgan a faim, Torgan a soif, Torgan est fatigué, Torgan se blesse. Bon il ne chie pas encore, d'accord, mais ne poussons pas la simulation trop loin s'il vous
plaît ! Ainsi, une fenêtre textuelle vous montrera constamment quel est l'état de votre personnage. Au fur et à mesure que le temps passe, Torgan aura un peu faim, légèrement soif, etc... Si vous
ne vous chargez pas de résoudre ses besoins, vous risquez de voir sa condition dépérir de manière drastique, et de voir la vie de Torgan se conclure d'une manière bien triste et rapide. Comment
faire alors ? A cette époque, les supérettes et les supermarchés ne florissaient pas vraiment, pas plus que les frigos. Si vous voulez que Torgan se nourrisse, il va donc falloir qu'il chasse. Et
qui dit chasse dit arme, en l'occurrence une sagaie ou une hache. Mais les armes non plus ne poussent pas, et il va là encore falloir vous armer de patience car vous devrez les construire.
Ainsi, vous devrez mettre la main à la pâte (ou plutôt au silex) et tailler la pierre en temps réel. Sur un fond noir vous aurez alors la silhouette de l'arme souhaitée et, à l'aide d'un petit
triangle symbolisant le point d'impact sur lequel vous allez frapper, vous devrez vous rapprocher le plus possible de la forme désirée. De plus, en maintenant plus ou moins longtemps le bouton,
l'impact sera plus ou moins fort. Un coup de travers et votre arme est fichue ! Il ne vous restera alors qu'à parcourir les terres pour trouver à nouveau des pierres susceptibles d'être taillées.
Vous comprenez ainsi que la simulation va très loin. Cela ne s'arrête pas là, et vous devrez évidemment compter avec un sac ne pouvant contenir qu'un nombre restreint d'objets et provisions.
Qu'allez-vous donc faire quand vous aurez tué un lapin ? Manger tout de suite sa viande ? La rapporter à Hognor ? En prendre un bout seulement afin de conserver votre réserve d'eau et vos silex ?
Ou bien encore tout laisser par manque de place, en espérant tomber quelques temps plus tard sur un buisson de myrtilles ? Cette viande, elle pourrit rapidement en plus, ne comptez donc pas la
garder pendant plusieurs jours de marche ! Et avez-vous pensé à regarder si vous êtes fatigué ? Auquel cas, vous devrez évidemment dormir une nuit, ce qui fera passer le temps, et augmenter la
faim et la soif ! Vous comprenez que, là encore, le joueur est libre dans ses choix et dans sa manière de jouer. Tellement libre que cela a déconcerté de nombreux joueurs, peu habitués à un
gameplay aussi novateur. Et bien entendu, les innovations ne s'arrêtent pas là...
Moi Torgan, toi ami ?
Torgan, avant tout, est un homme. Et comme tout homme vivant avec ses semblables, il doit se plier à certaines règles sociales. Comprenez par-là que, toutes rudimentaires que soient les habitudes
de cette époque, dire bonjour et vous présenter est signe de politesse, tandis que dire « Prosterne-toi, chien ! » ne peut que vous amener de rudes représailles (il est à noter d'ailleurs que les
différentes insultes disponibles sont très jouissives). Et en ce temps, on ne se contente pas de coller une gifle ou d'aller porter plainte à la gendarmerie. Manquez de respect à un congénère et
c'est la vie que vous risquez, après une bataille qui ira jusqu'au maniement de la hache ! Bien entendu, si vous ne disposez pas d'arme, vous pouvez toujours tenter le combat à mains nues, mais
dans ce cas l'issue est bien souvent désastreuse pour vous. Si l'ennemi ne vous tue pas (mettant ainsi fin à votre partie, d'ailleurs), vous vous retrouverez quand même dans une bien mauvaise
condition. Blessé, vous devrez chercher des plantes ou de l'onguent dans la nature. De plus, vous serez sans doute dépouillé de tous vos biens ! A vous de vous refaire en retaillant des silex,
tuant des ours ou autres bestioles pour obtenir des peaux ou encore des outres (pour garder l'eau que vous trouvez). Tout en n'oubliant pas que, plus vous restez longtemps blessé, plus vous avez
de chances de mourir. A l'inverse, si vous vous en sortez bien pendant les dialogues, vous aurez d'autres options comme passer simplement votre chemin ou bien entamer un troc. Une chose
indispensable pour récupérer des armes si vous n'arrivez pas à tailler ces dernières !
Mais il ne faut pas oublier une chose cruciale : votre tribu n'est pas la seule en ces terres. Et votre clan des Pieds Agiles a notamment des démêlés avec la peuplade des Hyènes Folles. Ainsi, si
vous vous aventurez d'emblée sur les territoires de cette dernière, vous risquez de faire de mauvaises rencontres dont toute la politesse du monde ne vous tirera pas. D'autres tribus existent
également et, selon que vous ayez entretenu ou non de bons rapports avec leurs membres (c'est-à-dire, selon que vous les ayez tués ou non), le déroulement lors des rencontres s'en ressentira. On
voit ainsi que le jeu, malgré les limitations techniques, arrive à intégrer une gestion de la réputation qui, aussi simpliste soit-elle, est véritablement étonnante pour l'époque. Et, afin
d'arriver au bout de l'histoire, chose extrêmement difficile en soi, il sera crucial de tenir compte de ce paramètre.
Un gameplay novateur, mais diablement préhistorique (c'est le cas de le dire)
C'est possible ça ? Hélas oui, et je vais vous expliquer pourquoi. Certes Sapiens est extrêmement novateur dans son concept, même de nos jours. Les possibilités sont multiples, la liberté est
quasi-totale, le but final pas bien défini (vous vous doutez bien que vous ne passerez pas votre temps à ramener de la viande à ce goinfre d'Hognor). L'immersion est bien là, sublimée par une
musique réellement magistrale. Les terres que vous parcourez sont générées au hasard, vous ne savez jamais sur quoi vous allez tomber. Du suspense, de l'imprévu, de l'action... mais aussi et
surtout beaucoup de calvaire. Si un testeur choisit de parler d'un jeu, c'est qu'il présente pour lui un intérêt. Si ce n'est pas la volonté de faire partager la passion d'un jeu de type « Star
», cela peut être autre chose, par exemple montrer ce qui arrive quand un jeu souffre d'un certain problème, ce qui est ici le cas. Parce qu'enfin, Sapiens illustre un souci majeur, celui du jeu
qui est « en avance sur son temps ».
Si je ne vous ai pas parlé jusqu'ici de la manière dont on contrôle toutes les actions du personnage, c'est bien parce que je voulais garder ceci pour la fin. Je me souviens qu'à l'époque de mes
7 ans déjà, en plein boom de l'Amstrad, jouer à Sapiens était réellement laborieux. Vous en déduirez que s'y frotter maintenant relève tout bonnement d'un plaisir masochiste, en passant outre
bien sûr la curiosité qu'on peut avoir à s'essayer à un tel jeu. S'il est ainsi indéniable qu'essayer Sapiens est une expérience intéressante que je conseille à la plupart des curieux de la
petite Histoire des jeux vidéo, je doute cependant fortement que le plaisir de jouer suive. La difficulté du jeu ne vient pas seulement de la quantité de paramètres à gérer (faim, soif, santé,
etc... ) mais plutôt de la manière laborieuse dont vous devrez remédier à ces problèmes.
Concrètement, dans Sapiens, tout se fait par l'intermédiaire de fenêtres textuelles. Vous disposez donc d'une multitude d'actions différentes telles que « Parler, Observer, Absorber, Dormir »,
etc... Après avoir sélectionné l'une de ces options, une nouvelle fenêtre s'ouvre afin que vous précisiez un peu plus votre désir. Par exemple, vous vous doutez bien qu'après avoir choisi
Absorber, vous devrez piocher dans vos réserves quelle nourriture vous ingurgitez. En ce qui concerne Dormir, vous pourrez choisir la durée de votre roupillon, à savoir Un peu, Une demi-journée,
ou Une nuit. Jusque là, rien de bien malsain. C'est même assez ergonomique pour un jeu de l'époque, malgré la superposition quelque peu enchevêtrée de toutes les fenêtres. Non, l'ennui vient en
fait de la fréquence bien trop élevée avec laquelle vous allez vous balader dans celles-ci.
Si on a tendance à penser que l'Homme au temps de la Préhistoire devait être sacrément robuste compte tenu de la nature dans laquelle il devait survivre, Sapiens nous ferait en revanche presque
penser que c'était une mauviette. Toutes les 3 minutes environ (et je n'exagère rien), Torgan a faim, Torgan a soif, Torgan commence à avoir sommeil...Impossible de se balader convenablement sur
la carte et d'explorer à loisir, il faut SANS CESSE gérer les problèmes de Torgan. Ceci implique que vous devez sans arrêt ouvrir ces satanées fenêtres et perdre 2 minutes à chaque fois le temps
de trouver l'option désirée. C'est simple, on peut affirmer sans trop se tromper qu'on passe la moitié du temps de jeu dans les fenêtres d'options ! A titre d'exemple supplémentaire, je citerai
les rencontres avec ceux de votre espèce.
Après que ces derniers nous disent « Bonjour », il faut répondre de même ; puis ensuite se présenter ; puis dire ce qu'on désire ; puis dire si on veut échanger un truc : puis dire au revoir...
Il faut ensuite resélectionner Oberver puis le type de vue désirée pour continuer à jouer. C'est certes très réaliste, mais cela devient trop vite gavant, les rencontres étant extrêmement
nombreuses. On finira ainsi par insulter copieusement notre interlocuteur, ce qui provoquera dans la majeure partie des cas une bataille où vous risquez de perdre la vie.
Il faut par conséquent être extrêmement patient lorsqu'on joue à Sapiens, d'autant plus que la carte est immense, et bien trop simpliste (on n'en est qu'aux débuts des jeux vidéo, mais bon... ).
A propos de cette dernière, vous aurez le choix entre 3 vues différentes :
- La vue latérale, la plus rapprochée, celle où vous verrez Torgan et pourrez interagir (dans la limite du possible) avec les éléments. C'est là que vous rencontrerez vos semblables, par
exemple.
- La vue panoramique : vous voyez le paysage devant vos yeux, comme si vous y étiez (à condition d'avoir de gros problèmes de vue étant donné la tronche des graphismes, mais bon le jeu est
vieux... ). Torgan peut tourner sur lui-même et se diriger où bon lui semble. C'est aussi ici que vous aurez des messages du type « Une odeur d'homme », « Une odeur de gibier », messages qui vous
feront parfois basculer automatiquement vers la vue latérale pour bien comprendre ce qui se passe. Une autre manière en quelque sorte de repasser dans les fenêtres de textes, ne serait-ce que
pour sélectionner « Observer », et « Paysage » afin de rebasculer vers la vue panoramique.
- La carte générale : bien trop simpliste. Torgan est symbolisé par une flèche indiquant la direction à laquelle il fait face, et quelques éléments sont représentés par des lignes plus ou moins
convexes. A part ça, rien ! Si vous désirez vous repérer et vous rappeler des zones de chasse, des sources d'eau, et des territoires des différentes tribus, je ne peux que vous conseiller de
faire votre propre map.
Une nature préhistorique hostile, un jeu qui l'est un peu trop
Sapiens, vous l'aurez compris, passe ici du statut de jeu conceptuel de génie à jeu extrêmement saoulant. La faute n'en revient pas aux frères Guillion, mais bien au support en question.
L'Amstrad, le Thomson, bref toutes les machines sur lesquelles est sorti Sapiens, ce ne sont pas la PS3 ou la Xbox 360 ! S'il est évident que le concept tient du génie, que l'immersion est bien
là, et que les idées foisonnent, Sapiens n'a malheureusement pas l'aide d'une technologie suffisante pour nous faire accrocher. Naviguer entre les différentes fenêtres s'avère très vite
laborieux, tout comme se repérer sur le semblant de carte qui nous est offert. Il en est de même pour la progression en vue panoramique, à l'animation ultra saccadée et aux graphismes ressemblant
souvent à du carton bouilli. Le jeu, de plus, est bien trop difficile (marque de fabrique de nombreux jeux de cette époque, cependant... ) et, ceci couplé à un gameplay laborieux, ne pousse pas
le joueur à vouloir s'investir plus loin dans l'aventure.
C'est dommage car on ressent tout de suite, dès les premières minutes de jeu, que Sapiens a un réel potentiel. Le concept est original et n'a, pour autant que je sache, jamais été repris. Didier
et Olivier Guillion ont véritablement développé une véritable simulation de vie d'un homme préhistorique, mais qui hélas devient bien trop lassante à court terme par manque d'ergonomie dans le
gameplay, de fluidité dans l'animation, de beauté dans les graphismes. Bref, Sapiens fut clairement en avance sur son temps, beaucoup trop ! Même les phases un peu plus « arcade » comme la chasse
ou les combats sont injouables, Torgan bougeant avec la grâce d'une frite molle et répondant aux commandes avec un temps de latence se situant entre 1 et 2 secondes. Le taillage de silex est
quant à lui plutôt bien fichu, mais réussir à tailler convenablement la pierre est un véritable défi à la patience du joueur ; il faut en effet s'approcher de bien trop près de la forme voulue
pour arriver à créer l'arme désirée, et vous finirez dans bien des cas par péter la pierre avec un coup un peu trop mal placé.
Vous l'aurez compris : si Sapiens avait attendu encore quelques années avant de sortir, il aurait sans doute pu disposer d'un support technique suffisant pour se marier avec ses ambitions. Un
remake sur PC est sorti en 1996 pour célébrer les 10 ans du soft mais, après l'avoir essayé, le constat ne fut pas aussi rose que je m'y attendais. Si les graphismes, la musique et l'animation
furent remis au goût du jour, rien ou presque dans l'ergonomie du gameplay ne fut modifié (peut-être pour rester fidèle à l'original ?). Résultat : là encore un jeu trop difficile et laborieux,
alors qu'il aurait été facile de remanier cet aspect pour rendre le tout enfin accessible.
Pour conclure Sapiens est, par bien des aspects, un jeu culte. Il est tellement original et bien pensé dans son concept que la plupart des joueurs l'ayant essayé à l'époque s'en souvient.
Cependant, c'est là le problème, beaucoup l'ont « essayé », et ne se sont pas réellement penchés dessus, le challenge étant bien trop corsé et le gameplay bien trop bancal surtout pour un public
habitué à cette époque aux jeux de type Arcade. On ne peut leur en vouloir, car Sapiens est à l'évidence limité par le support sur lequel il est. C'est un jeu qui a visé haut, trop haut pour son
époque. On ne peut pourtant que s'incliner devant Didier et Olivier Guillion qui ont pris le risque, à une période où fusaient les jeux simples, de vouloir proposer autre chose : un jeu qui
impliquait le joueur totalement dans l'histoire, un jeu où primait la liberté d'action et le sentiment d'évasion. A l'évidence, un jeu important pour montrer que, en ce temps-là déjà, on voyait
le jeu vidéo comme l'un des futurs vecteurs d'émotion et non comme un simple divertissement. Une leçon de morale, même si de nos jours Sapiens est plus une curiosité vidéoludique qu'un bon
jeu.
Connu en son temps, Sapiens est à mon avis un jeu important pour démontrer plusieurs choses. Tout d'abord, il permet de constater que, déjà au milieu des années 80, certains voyaient le
jeu vidéo comme plus qu'un divertissement. Sapiens n'a pas d'équivalent à cette époque, et son originalité lui a permis d'obtenir un très grand succès fort mérité à sa sortie et des adaptations
sur les différentes machines de cette période. Mais ce sont surtout ses défauts qui, à mon sens, lui confèrent paradoxalement un très grand intérêt. En effet, jouer à Sapiens aujourd'hui relève
véritablement de l'épreuve de force tant la technique trop simple et le gameplay bien trop poussif entachent le plaisir du joueur. Bien sûr, il faut excuser les limitations techniques de
l'époque, mais c'est bien là le problème : limitation techniques, il y a ! Et ces limitations ont clairement empêchés Didier et Olivier Guillion de faire un jeu à la mesure de leurs ambitions.
Trop en avance sur son temps, Sapiens est donc l'illustration parfaite que le jeu vidéo a parfois besoin de nouvelles technologies pour progresser. Ce jeu n'est donc pas plaisant mais est en
revanche très intéressant, ce qui fait que je vous conseille vivement de prendre quelques minutes pour l'essayer.
SUPPOS : 3/6