[TEST DE BARBU] The Wonderful 101 / Wii U
The Wonderful101
Support : Wii U
Développeur : Platinum Games
Editeur : Nintendo
Année : 2013
Annoncé à l’E3 2012 pour accompagner le lancement de la Wii U, The Wonderful 101 aura agité les curiosités de la presse et des joueurs jusqu’à sa sortie. Et pour cause : un gameplay qui semblait franchement original, un style cartoon qui donnait d’ores-et-déjà une identité propre au jeu, et le studio Platinum Games aux commandes avec, cerise sur le gâteau, Hideki Kamiya à la direction laissaient présager le meilleur pour cette exclue Wii U. A sa sortie, finalement retardée au mois d’août 2013 en Europe, The Wonderful 101 n’est pas franchement supporté par les ténors de la presse spécialisée française, et le jeu est rapidement relayé en production de seconde zone. Pourtant, les retours très positifs des joueurs et des journaux vidéoludiques internationaux commencent à fleurir sur la Toile, et viennent contraster avec le pétard mouillé décrit en premier lieu. Alors, avec un recul de presque deux ans, que peut-on dire de The Wonderful 101 ?
Posons le décor : WTF JAPAN ?!
Vous excuserez mon vocabulaire, mais le kitsch loufoque visible déjà sur la jaquette du jeu ne laisse aucun doute sur le pays d’origine des développeurs. Et le pitch du jeu enfonce carrément le clou ! Allez hop, asseyez-vous et écoutez : Père Castor va vous raconter une histoire… et elle sent bon la série Z made in Pays du Soleil Levant.
Dans un futur ultra-technologique, notre Planète Bleue doit faire face à une invasion extraterrestre menée par la Fédération GEATHJERK (Guild of Evil Aliens Terrorizing Humans with Jiggawatt bombs, Energy beams, Ray guns, and Killer lasers… si, je vous jure). Le groupe de défense créé spécialement pour ce type d’assauts, les CENTINELs, érige le bouclier planétaire Margarita autour de la Terre pour contenir l’attaque massive (et par massive, j’entends plus gros que ma belle-mère). Quelques aliens réussissent cependant à percer le bouclier, et visent les générateurs alimentant Margarita. Les CENTINELs déploient alors leur équipe de choc pour poutrer de l’envahisseur : les Wonderful 100. Dirigés par un fin stratège qui n’est autre que le joueur (ce qui nous fait le compte à 101, pour les vedettes qui auraient du mal à suivre), la contre-attaque peut commencer.
Débute alors un festival de démesure qui ne lâchera plus le joueur jusqu’à la dernière seconde du jeu : super-héros pouvant s’assembler en armes géantes, kaijus immenses, mechas titanesques, batailles épiques, et scènes de destruction sans limite s’enchainent à une vitesse folle, et constituent les ingrédients de l’immense tokusatsu interactif auquel le joueur prend part.
Et là je vous vois venir. Vous allez me dire : « l’ambiance du jeu sur le papier, c’est bien, mais qu’en est-il de la réalisation ? ».
Un parti pris artistique qui divisera les foules…
Avant même de se confronter au gameplay ou à la technique d’un jeu, c’est toujours son design que le joueur se prend d’abord en pleine poire. Et là, y’a pas photo : on aime ou on n’aime pas le style de The Wonderful 101. Les personnages sont taillés façon Super-Deformed, le look des héros résulte d’un mélange de mauvais goût entre les Power Rangers et les Thunderbirds, et les vilains semblent débarquer tout droit d’une série B de SF des années 60.
Beaucoup de clins d’œil raviront les fans de SF old-school, à commencer par le design des personnages.
Une belle variété d’environnements défile à l’écran, et bien que très différents, ces décors partagent tous la même patte caractéristique de The Wonderful 101. Leur progression n’est pas laissée au hasard, puisqu’elle permet de faire évoluer l’univers du jeu : le démarrage se fait dans une ambiance kawaï très légère, pour se diriger progressivement vers une atmosphère un peu plus sombre à mesure que des détails clés de l’histoire sont révélés. De manière générale, le côté cartoon et la vue en tilt-shift donnent l’impression d’évoluer dans un monde de jouets.
Au-delà de l’aspect visuel, le parti pris se fait clairement ressentir dans les dialogues. L’histoire progresse via quelques cutscenes, mais surtout au travers des discussions entre les personnages. L’humour est omniprésent, tantôt potache grotesque, tantôt à se pisser dessus. Des portraits agrémentés de phylactères (60 points au Scrabble les frères, wesh) illustrent les discours. Les mimiques façon manga renforcent l’aspect comique, et rattrapent même les vannes les plus foireuses. J’en profite pour féliciter vivement le travail des traducteurs, car les textes en VF sont un véritable régal. Du coup, et même en maîtrisant parfaitement la langue de Shakespeare (qui est la seule autre langue dispo pour les voix), il n’y a aucune raison de se priver des dialogues en japonais car ils confèrent une authenticité sans égale aux personnages. L’histoire du jeu en elle-même ne se veut pas originale, mais est bien déroulée, et accumule les références du genre qui feront plaisir aux amateurs de SF.
Les personnages se vannent constamment la face, et c’est souvent très drôle (certains super-héros ont été distordus pour éviter le spoil).
Enfin bon, même si on apprécie le look et l’ambiance d’un jeu, à quoi bon s’y attarder s’il a été développé avec les pieds, hein ?
… mais une réalisation technique qui les rassemblera.
Ça ne fait aucun doute, The Wonderful 101 a été réalisé d’une main de maître par Platinum Games : pas un seul bug ne vient gâcher l’expérience de jeu, pas même une petite collision mal gérée, ou un coin de texture mal chargé. D’ailleurs, les textures sont plutôt chouettes, avec un niveau de détail assez fin compte tenu de tout ce qu’il y a à afficher en même temps (champ de vision large, et décors très diversifiés). Même pendant les quelques scènes en vue très rapprochée, aucun amas de pixels grossiers n’a l’outrecuidance de se faire voir. Il faut cependant bien admettre que compte tenu des capacités de la Wii U, le niveau de détail aurait certainement pu être rehaussé. Notamment, les visages des personnages et certaines textures sont assez lisses, mais cet aspect est bien contrebalancé par la direction artistique du jeu (les cerisiers en fleur par exemple sont juste… ouah quoi !). Le plus gros point fort reste selon moi la fluidité exceptionnelle : malgré la quantité de bonshommes à l’écran, malgré les bastons dans tous les sens, malgré la profondeur de champ vertigineuse, le jeu tourne à un 60 fps constant (ou en tout cas semble-t-il à mes yeux de novice). De très rares baisses de framerate se font remarquer, et on les excuse largement car elles sont causées par l’affichage à l’écran de colossales forteresses roulantes bourrées de détails.
Au niveau de la maniabilité, rien à redire. Les contrôles répondent vraiment bien, et c’est salutaire. Parce que les mouvements de base ont beau être très simples, il va falloir apprendre à les enchaîner proprement pour réaliser des combos tout foufous ! Un dernier point qui n’a rien d’un détail : la précision du stick droit a été réglée au poil pour bien faciliter la reconnaissance des unimorphisations que le joueur voudra matérialiser. Et croyez-moi, ce n’est pas au milieu d’une stomba bien tendue qu’on a envie de faire apparaître un deltaplane au lieu d’un énorme coup de poing ravageur.
Mais je tatasse, je tatasse, et je vous vois trépigner d’impatience : « Bon, tu vas finir par nous gonfler pépé, tu vas nous parler de mécanisme de jeu maint… Hey mais attends, c’est quoi les zunimorf-machins-trucs là ? ».
Un bête’em all avec une idée pas beat du tout
Qu’on se le dise tout de suite : The Wonderful 101 est avant tout un beat’em all. Vous dirigez une petite troupe de castagneurs (une vingtaine au début) et vous aurez à tabasser des hordes d’ennemis surexcités tout au long de votre épopée. La véritable originalité du gameplay consiste à pouvoir assembler ses héros en armes de combat surpuissantes, les unimorphisations. Ces transformations sont propres aux héros principaux de l’histoire, et ont des caractéristiques très différentes. Au début de l’aventure, deux unimorphisations sont disponibles : le poing de Wonder Red, puissant mais de courte portée, et l’épée de Wonder Blue, moins destructrice mais ayant plus d’allonge. Au fil de l’histoire, le joueur rencontre d’autres super-héros qui débloquent de nouvelles transformations. Il y en a une dizaine en tout et chacune d’entre elles se révèle être indispensable pour se sortir de l’un ou l’autre mauvais pas.
Le système de transformation est très bien pensé. Pour les matérialiser, rien de plus simple puisqu’il suffit d’utiliser le stick droit pour aligner ses aventuriers selon la bonne forme géométrique : un cercle pour le poing, une ligne pour l’épée, etc… Selon la taille de la forme géométrique, l’arme devient plus ou moins grosse et puissante, mais demande plus d’énergie pour être générée. Car oui, deux jauges sont à surveiller, la jauge de vie, et la jauge d’énergie. Cette dernière se recharge soit en tapant sur des méchants (ça leur apprendra à être violents tiens !), soit en ramassant des piles d’énergie disséminées sur le trajet. Soit encore en restant passif, puisque la jauge se remplit très lentement de manière automatique, ce qui permet de ne jamais se retrouver bien longtemps dans l’impossibilité d’unimorphiser ses troupes. Le stick droit sert également à débloquer des items cachés (par exemple en entourant une fontaine, ou en traçant une ligne vers des chiottes publiques), et à rassembler des civils dispatchés çà et là dans les niveaux pour qu’ils viennent gonfler les rangs. Recruter des troupes est primordial, puisque plus il y a de personnages à disposition, plus les formes géométriques peuvent être grandes, et donc les armes dévastatrices.
A ce stade du test, soit vous avez arrêté de lire (statistique amusante : 0% des personnes de cette catégorie sauront que l’on a parlé d’elles ici), soit vous êtes sur le point de le faire pour vous mettre un petit Streets of Rage. Parce que bon, pas besoin de faire compliqué juste pour taper sur du voyou.
Un peu de strat’ dans un monde de brutes
Mais heureusement, The Wonderful 101, ce n’est pas que du tabassage en règle. Si 90% du temps de jeu consiste à molester des vilains pas beaux, les 10% restants font que ce cassage de gueule n’est jamais rébarbatif. L’aventure se trouve souvent entrecoupée par des séquences de jeu plus ou moins courtes qui n’ont rien d’un beat’em all : séances de shmups loufoques, combats inspirés des meilleurs jeux de boxe, ou QTE atypiques pimentent le déroulement de la partie. Ces interludes s’injectent très bien dans l’action générale, et ne deviennent jamais indésirables : ils sont toujours originaux, souvent comiques, et parfois bien tendus (imaginez d’avoir à défoncer des gros monstres en pilotant un énorme robot, tout en ayant à lâcher parfois les commandes pour fritter des ennemis qui assaillent l’intérieur du robot…).
D’autres bonnes idées, plus classiques, ont été intégrées au jeu et impulsent constamment un sentiment de progression. Par exemple, un système d’évolution des unimorphisations fait que plus l’une d’elle est utilisée, plus elle offre d’attaques différentes. Ceci incite le joueur à varier ses stratégies, et à ne pas se cantonner toujours à la même technique. Autre exemple : il est possible de créer des unimorphisations indépendantes, qui s’occuperont pendant quelques courtes secondes de taper du vilain, et laisseront un peu plus le champ libre au joueur. Pour terminer sur les exemples, tout objet ou ennemi défoncé crache de la thune qui permet de se payer des consommables (bouffe, missiles, …), des équipements (régénération plus rapide de l’énergie, possibilité de poser des mines, …), ou d’autres unimorphisations. Contrairement aux transformations liées aux super-héros qui fournissent de nouvelles armes, ces unimorphisations achetables facilitent la gestion des combats (bouclier, échappement, …).
Entre autres choix tactiques, il est possible de créer des unimorphisations autonomes actives pendant quelques secondes.
Il faut signaler que les deux/trois premières heures de jeu peuvent donner l’impression au joueur de ne rien gérer, voire être carrément agaçantes pour lui, puisque non seulement il faut se faire à la prise en main particulière de The Wonderful 101, et qu’en plus l’absence de système de défense au début de l’aventure fait qu’on se prend un bon paquet de beignes. Même avec un peu plus de maitrise, il peut arriver que certains combats soient hasardeux et que l’on encaisse quelques coups sans trop savoir pourquoi. Pourtant, ces premiers pas laborieux et ces claques fumeuses mis à part, le jeu procure un gros plaisir avec de véritables tactiques à mettre en place pour gérer au mieux les situations. D’autant qu’il faudra innover à chaque scène de baston, puisque les développeurs ont ajouté une idée qui marche très bien : la couleur avec laquelle spawnent les ennemis encourage à utiliser une unimorphisation différente de celle à laquelle ils sont préférentiellement vulnérables, bonus à la clé. Au final, on se retrouve avec un beat’em all qui défoule bien, mais où le joueur peut adopter différentes tactiques pour compléter des tableaux qui se répètent rarement.
Bon là, j’ai l’impression d’en avoir convaincu un ou deux, et ça me fait plaisir à voir. Par contre, je devine votre ultime question qui est encore une fois bien fondée : « Ok, ça a l’air chouette, mais quel est l’intérêt de casquer pour un jeu qui se torche fissa ? »
« FINISH IT !? »
Évidemment, on est loin de la durée de vie d’un Zelda ou d’un GTA. En difficulté intermédiaire, The Wonderful 101 offre tout de même une quinzaine d’heures d’aventures, ce qui reste une durée plus qu’honorable pour un jeu de cet acabit. Le format des niveaux, de 15 à 30 minutes pour chaque, fait que chacun peut attaquer le jeu comme bon lui semble : grosses sessions de plusieurs heures, ou raids plus courts de 30 minutes. On peut au final y revenir souvent, et c’est tant mieux car il ne faudra pas s’en priver pour terminer tout à fait le jeu. En effet, une fois le mode histoire achevé avec n’importe laquelle des trois difficultés (Très Facile, Facile ou Normal), le joueur a accès directement à tous les niveaux, et ce quelle que soit la difficulté choisie. Le premier intérêt est que, comme pour beaucoup de jeux, The Wonderful 101 propose plusieurs d’accomplir des achievements ou de collectionner des items disséminés partout dans les niveaux (figurines, infos pour compléter l’univers du jeu, héros secondaires des Wonderful 100, …). Refaire les niveaux est inévitable, puisque certains objets sont planqués dans les hammer spots, accessibles uniquement avec un équipement débloqué en deuxième moitié du jeu. Le second intérêt concerne même les joueurs n’étant pas rongés par la collectionite aiguë, puisqu’une fois le jeu terminé, des emplacements secrets apparaissent dans les différents niveaux. Même si ces Kahkoo-Regah ne changent pas radicalement le gameplay, ils permettent de diversifier cette seconde conquête du mode histoire.
Le troisième intérêt concerne les amateurs de scoring, pour qui The Wonderful 101 se transforme en véritable piège. A la fin de chaque niveau, une coupe est décernée selon la qualité de la partie : les plus mauvais joueurs accumuleront les trophées de plastique, là où les bêtes décrocheront des Pure Platinum. Cette plus haute distinction est assez difficile à obtenir, puisqu’il faut maintenir au top tout au long du level les trois critères utilisés : combos, rapidité, et mandales reçues (à minimiser pour ce dernier, bien entendu). Finir le jeu avec la plus haute difficulté débloque le mode Hard, et lui-même débloque le mode 101%Hard. Un ultime bonus vient enrichir le bouquet garni : achever les niveaux avec ces difficultés accrues donne accès à d’autres unimorphisations variantes dont certaines sont carrément barrées (SPOILER ALERT : liste complète en images ici). Autant dire que pour achever complètement le jeu, il faudra lui accorder bien plus d’heures qu’une petite quinzaine…
Pour ce qui est des critères objectifs, The Wonderful 101 est un jeu à la réalisation impeccable, à la finition soignée, et avec un contenu appréciable. Rien qu’avec ça, on comprend que Platinum Games ne se fout pas de notre gueule, et ça fait du bien. Pour le reste, le jeu s’adresse à un public particulier : les gros amateurs de beat’em all le trouveront fastidieux et bien trop compliqué juste pour se défouler, alors que les fans d’action-aventure le trouveront trop répétitif et sans finesse. Pour les joueurs au milieu, ceux qui apprécient qu’un jeu soit arcade sans être trop simple non plus, qu’il soit bourrin sans être rébarbatif, qu’il demande un investissement mais pas trop extrême quand même, alors The Wonderful 101 est ce qu’il leur faut. En revanche, la phase d’apprentissage un peu ardue et le déroulement bordélique de certains combats seront rédhibitoires pour les joueurs appréciant d’avoir un contrôle absolu sur la situation. Dans mon cas précis, l’humour granguignolesque, le design décalé et les références SF m’ont aidé à tenir bon, puis les combats épiques, variés et tactiques ont carrément fait mouche : 5,5/6 (parce que 6 c’est la perfection, et qu’on peut toujours faire mieux).
SUPPOS : 5,5/6