[RETROGAMING] Ghosts'n Goblins / Amstrad CPC
GHOSTS'N GOBLINS
Support : Amstrad CPC
Existe également sur Arcade, C16, C64, ZX Spectrum, Amiga, Atari ST, PC, Sharp X68000, FM-7, NES, Game Boy Color
Développeurs : N.Alderton, S.Pickford, D.Whittaker, D.Hartley
Éditeur : ELITE SYSTEMS
Date : 1986
Ghosts'n Goblins est un jeu qu'on ne présente plus. Capcom, Arthur, armure, caleçon, squelette, ouh la la ! comme c'était
dur, machin, bidule, tout ça. Mais, sur micro-ordinateur, on ne peut faire l'économie de préciser, tout de même, que ce n'était pas Capcom soi-même mais Elite qui se chargeait de la "conversion"
("réinterprétation" est un mot qui conviendrait davantage, voire "variation sur le thème", si l'on est amateur de sarcasme). Et c'est peut-être ce qui fait toute la
différence.
Chapitre où je raconte ma vie
J'ai déjà raconté brièvement dans ma chronique de Tecmo World Cup 90 à
quel point cette borne d'arcade, ainsi que celle de Final Lap et de Ghosts'n Goblins constituent un traumatisme originel, une sorte de Sainte Trinité devant laquelle, aujourd'hui encore, je
serais un peu tenté de m'incliner, presque sans le vouloir. Et peut-être qu'au fond, ce sont toujours ces petits monuments que je recherche en chacun des jeux qui me tombent dans les mains en
2013. En ayant toutefois globalement fait le deuil des retrouvailles avec ce bouleversement primal, et c'est heureux, parce qu'à 33 balais bien serrés dans mon fondement, il y aurait de quoi
s'inquiéter d'en être encore là.
Mais à l'époque, c'était tout autre chose. En ce qui concernait le football, je pouvais me sustenter avec Match Day II, sur CPC, et j'y
trouvais mon compte, largement. Final Lap ne pouvait être reproduit à l'identique sur les consoles et micro de l'époque, il n'y avait donc pas de frustration, je ne pouvais tout simplement pas en
retrouver les sensations (celles-ci n'allaient pas sans le siège, le pommeau de vitesse, le volant), personne ne le pouvait, pensais-je. Mais Ghosts'n Goblins... Il existait, lui. Je le savais,
parce que j'avais vu passer son nom sur une de ces vieilles revues dédiées à l'Amstrad (Amstrad 100% ? Amstrad Magazine?) que j'avais eue avec ma bécane. Mais à l'époque, en Aveyron, et à
mon âge, un jeu se trouvait en magasin, s'il venait de sortir, ou bien se rêvait, si son tour était passé. Et pendant un bon moment... Il m'avait fallu le rêver. Super fort, comme si la pression
exercée sur mon imaginaire allait, par quelque tour de magie micro-informatique, le matérialiser devant moi, en vrai. Jusqu'à cette compil'. "15 Mega Stars". Tout un programme !
15 Mega Stars était l'une des ces compilations tardives, du début des années 90, vouées à écouler les derniers stocks tout en donnant
une sensation d'actualité aux nouveaux acheteurs de CPC+. D'ailleurs le mensonge ne courrait pas plus loin que l'ouverture de la boîte : il s'agissait tout bêtement d'un vulgaire
reconditionnement de la compilation Frank Bruno's Big Box, amputée de... Frank Bruno's Boxing mais augmentée de Exolon, Navy Move, et quelques autres trucs. Mon Dieu, il fallait vraiment que je
le veuille, que je le guette, ce foutu Ghosts'n Goblins, pour que mes yeux, de la (faible) hauteur où ils se trouvaient, avec une boîte vaguement de profil et ombragée par une autre, parviennent
à en reconnaître la jaquette miniature dessinée en couverture, le tout derrière une vitrine. La puissance de la volonté. La suite, vous la connaissez : séduction, argumentation, et
hop ! À la caisse de Confo.
"Non mais on s'en fout : le JEU, il est bien ?"
Attendez, j'y viens. Je parlais de puissance de la volonté, oui, mais surtout, puissance de l'imaginaire. Parce que ce bon sang de
bonsoir de jeu, je l'avais tellement regardé en arcade, puis tellement rêvé, tellement imaginé, que, quelle que puisse être son apparence réelle sur Amstrad CPC, une sorte de filtre rétinien
tamisait la crasse et ne laissait passer que le beau. Moi, quand je jouais à Ghosts'n Goblins sur mon 6128, j'avais, vraiment, l'impression de jouer à la borne d'arcade. Enfin, non, pas
vraiment... Je n'étais pas totalement stupide, je voyais bien le grand écart, "je savais", au fond de moi. Oui mais, je m'en fichais, je réalisais un fantasme, et je voulais tellement que ce soit
bien, que, au final, eh bien ça l'était, bien, et même sacrément.
Et pourtant, il avait fallu l'avaler, LA déception : comment Nigel Alderton (programmateur freelance, ça se faisait pas mal, chez
Elite), pourtant pas un mauvais bougre puisqu'on lui doit Commando sur la même machine, Steve Pickford (aux graphismes, freelance aussi, 15 ans à l'époque, figurez-vous, et payé 50£ pour ce
boulot) et Dan Hartley (je ne sais pas) ont-ils pu négliger LE gimmick de Ghosts'n Goblins, ce qui fait quasiment son identité, et 90% de son charme, à savoir le passage à la mode caleçon de
notre personnage lorsqu'il est touché ? Incompréhensible. Inadmissible. J'imagine que le challenge n'était pas suffisamment relevé à leur goût, et qu'il fallait corser l'affaire en
n'autorisant plus le moindre contact avec l'ennemi. Ils avaient déjà enlevé les « continues », vous concédant cinq vies point barre, ils n'allaient pas s'arrêter en si bon chemin. A
moins qu'ils n'aient eu la fainéantise de créer un nouveau sprite ? Au passage, on admire la mythomanie absolue de Philippe Bernard, testeur pour Amstrad Magazine, qui eut le front d'écrire
à l'époque, je cite : "Si l'un d'eux vous attrape, vous perdez votre armure : premier avertissement." Bravo, en quelques mots il admet ne pas y avoir joué avant d'en rédiger le test, qui est
paru tout de même sans que personne ne bronche, comme quoi tout n'était pas mieux avant (aujourd'hui, les éditeurs ont le tact d'inviter les journalistes à jouer vraiment au jeu, avant de les
forcer à en dire du bien, mais pardon, je m'égare).
Faisons fi de cette cruelle déception, et reprenons les choses du début. Ce qui frappe de prime abord, c'est l'écran titre. Directement
inspiré du flyer original de la borne d'arcade, il est fin, coloré, magnifique, et possède cette capacité presque magique à mettre instantanément à l'aise et de bonne humeur l'utilisateur échaudé
de CPC, qui a certes déjà vu de très bonnes conversions sur sa bécane mais se souvient également du cas Double Dragon, et qui vient de taper, en guise de sésame, les mots magiques RUN"GOBLINS. En
tout cas, chapeau Steve Pickford (c'est lui qui l'a dessiné sur son Amstrad, cet écran, et, pour l'anecdote, on le lui a piquée pour la version C64, ce pour quoi il n'a évidemment jamais touché
le moindre sou, arnaquer un gamin de 15 piges, belle mentalité, bravo).
Ce qui frappe ensuite, peut-être encore plus fort, mais directement au niveau des tympans, c'est la musique. Si à la lecture de ces
mots, vous avez lancé le jeu, mais oublié de baisser le son, il est probable que du sang s'échappe actuellement de vos oreilles, et vous devrez désormais vous habituer au sifflement, ça s'appelle
des acouphènes. Il n'empêche, plaisanterie mise à part, cette musique (oui, il n'y en a qu'une) est un tube. On sent que David Whittaker a poussé tous les potards à 11 dans le triste processeur
sonore du CPC, et s'est fait plaisir en proposant cette sorte de remix technoïde du célèbre jingle d'introduction de chaque niveau de la borne originelle. Concédons toutefois que cette bande son
n'a rien de consensuel, on peut l'adorer comme en être totalement horripilé, d'autant plus qu'elle verse dans le répétitif et qu'en dehors de celle-ci... le néant. Pas le moindre bruit, rien. Un
oubli, sans doute ?
Graphiquement, il faut admettre que l'on est dans un registre CPC du milieu des années 80. Je veux dire par là que l'ensemble ne vole
pas très haut en comparaison de ce que cette machine montrera par la suite. Pour autant, le dessin n'est pas désagréable, et si le trait est grossier, simplifié, au moins est-il clair, ainsi
qu'un brin naïf (on croirait parfois que c'était un enfant -et c'en était pratiquement un-, aux crayons, mais n'est-ce pas là le charme rétro ?). Les sprites sont, en tout cas, bien plus
réussis que ceux de Ghouls'n Ghosts, la suite, sortie trois ans plus tard mais littéralement massacrée par US Gold, grands spécialistes de l'exercice (du massacre comme de la conversion), via
SOFTware Creations. L'esprit originel, à savoir un univers a priori sombre mais caricatural donc amusant, est ici respecté, ce qui était une intention louable et un pari
réussi.
Le problème majeur de ce Ghosts'n Goblins version CPC, à mon sens, est à situer du côté de l'animation. Celle-ci est... succincte, pour
le moins, en ce qui concerne notre personnage. Arthur perd ici sa démarche si caractéristique et ne conserve qu'un jeu de jambes et de bras un peu ridicule qui lui donne l'air plutôt crispé que
courant vaillamment à la recherche de sa belle. Certes, une armure, en réalité, ça pèse son poids et tout s'explique, mais il n'était besoin de nul réalisme à ce niveau. Et que dire des
sauts ? Les programmeurs ne se sont pas donnés la peine de dessiner un nouveau sprite : lorsque Arthur saute, ses jambes et ses bras conservent la dernière position qu'ils avaient lors
de la marche, c'est à dire que, par exemple, s'il avait les jambes serrées au moment du saut, eh bien il sautera pieds joints, et inversement si ses jambes étaient écartées avant l'envol, sans
jamais que l'on sente un effort, une impulsion de sa part. Non, on lui dit de sauter, son sprite s'élève tel qu'il est, c'est tout, comme si l'on jouait avec un Playmobil suspendu à un fil.
L'effet obtenu, c’est une amère sensation de travail bâclé. Mince, quoi, si c'était faisable sur Spectrum, ça l'était ici, que je sache, non ? Dans la même lignée de reproches, les dagues
(oui, exit la lance, ainsi que les autres armes, vous n'aurez que la dague) s'échappent de notre héros plus qu'il ne les projette, là encore rien ne donne la sensation que ce personnage est
actif, vivant. Si, en fait, une chose, un détail : lorsqu'il se déplace, le casque d'Arthur sautille, rebondit sur sa tête. En voilà une belle idée, et qui fonctionne à merveille, quel
dommage de s'être arrêtés là. Bon, pour être complet, il faudrait parler du scrolling... Nous sommes sur CPC, est-il besoin d'en dire davantage ? Armez-vous d'une aspirine ou d'un médoc
contre la cinétose, débrouillez-vous pour limiter les allées-venues, et ne collez pas votre pif à l'écran, ça devrait suffire.
Mais, finalement, aurez-vous seulement le temps de vous attarder sur tous ces détails ? Ce n'est pas certain, parce que ce jeu ne
vous laissera que peu de répit. Et ce, dès le début, dans le fameux cimetière. A ce stade, ce n'est même plus du "respawn" d'ennemi, mais une véritable diarrhée continue et gastro-entéritique de
pales zombies, lesquels se trouvent être, en sus, diablement rapides sans même courir, vous savez, comme dans ces films d'horreur où l'héroïne s'enfuit au pas de course mais est systématiquement
rattrapée par le méchant qui marche doucement. Il serait toutefois malvenu de s'en plaindre, puisque la difficulté constitue une bonne partie du cahier des charges d'un Makaimura, et celle-ci
s'avère finalement assez constante dans sa moyenne haute. Ce qui est plus agaçant, c'est que le masque de collision semble excéder votre sprite, sauf pour ses pieds. En effet, ce soft est affublé
de ce pénible défaut qui veut que vous mourriez sans toucher votre adversaire mais que vous tombiez en touchant pourtant une plate-forme. Sur ce dernier point, gare à vous, car Arthur ne saute ni
très haut ni très loin, et la distance qu'il vous est parfois demandé de parcourir en sautant est parfois quasiment égale à celle dont votre personnage est capable à son maximum. Et inutile de
prendre de l'élan, ça ne sert à rien. Le jeu n'est cependant pas infaisable, d'autant qu'il est assez court : petit, arrivé à la toute fin du deuxième niveau, j'étais loin de me douter à
quel point l'issue était proche puisque le jeu n'en compte que trois. En effet, le dragon est le boss final. Affrontez-le, après quoi le jeu recommence. "Ah ok, et ensuite, comme dans Ghouls'n
Ghosts, une fois terminé une deuxième fois on a le vrai boss, c'est ça ?" Hum... Non. Le jeu recommence, encore. Et encore. Et encore. Et encore. Et si vous en êtes à cet "encore" là c'est
que vous avez déjà perdu votre temps, vous n'en aurez pas d'avantage, Satan est un dragon, en fait. Étonnant, non ?
Conclusion
Au royaume des aveugles, il paraît que les borgnes sont rois, mais ce n'est certainement pas sous prétexte qu'il n'existe nulle
très bonne (con)version de Ghosts'n Goblins sur micro (encore que les versions C64 et même Spectrum appellent au respect) qu'il s'agit de se forcer à dire du bien de celle-ci. Mais si l'on y
songe, au fond, cette question de la qualité du portage "arcade vers CPC" n'est pas la bonne, puisqu'en plus d'être inique étant données les spécificités techniques respectives de ces deux
machines, elle discrédite strictement une disquette (ou une cassette) qui ne le mérite vraiment pas. En effet, non, Ghosts'n Goblins sur Amstrad n'est pas un bon Ghosts'n Goblins, oui, mais
Ghosts'n Goblins sur Amstrad est, clairement, un bon jeu. Il propose une action soutenue, des contrôles tout à fait dans la moyenne acceptable de l'époque, et un challenge relevé au milieu d'un
décor adorablement glauque, le tout agrémenté d'un véritable tube en guise de bande son. En lui-même, il demeure, aujourd'hui encore, un soft à essayer pour quiconque souhaite découvrir ou
redécouvrir le monde du CPC. Et tant pis pour le calbute.
SUPPOS : 4/6